Page:La Boétie - Œuvres complètes Bonnefon 1892.djvu/406

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32© ESTIENNE DE LA BOÉTIE °' luy entre ouuroit la bouche par force pour le faire aualler: «An viuere tcmti eji?» dit:-il, tournant fon propos à Mon- fieur de Belot. Sur le foir, il commença bien à bon efcient à tirer aux traiéts de la mort; & comme ie fouppois, il me tit appeller, n’ayant plus que l’image & que l’ombre cl’vn 5 homme, & comme il difoit de foy mefme : ·« Non homo, fed jjaecies hominis. » Et me dit, à toutes peines: « Mon frere, mon amy, pleuft à Dieu que ie viiïe les effects des imagina- tions que ie viens d’au0ir. » Apres auoir attendu quelque temps, qu’il ne parloit plus, & qu’il tiroit des foufpirs IO tranchants pour Een efforcer, car dellors la langue com- mençoit fort à luy denier fon office. « Quelles font elles, IHOH frere? luy dis-ie. — Grandes, grandes, me refpondit-il. -— Il ne fut iamais, fuyuis-ie, que ie n’euffe ceit honneur que de communiquer à toutes celles qui vous venoient à I5 - l’entendement, voulez vous pas que i’en iouïffe encore? - C’eft mon dea, refpondit-il: mais, mon frere, ie ne puis: elles font admirables, infinies, & indicib1es.» Nous en demeurafmes là, car il n’en pouuoit plus. De forte qu’v11 peu au parauant il auoit voulu parler à fa femme, & luy 20 auoit dit d’vn vifage le plus gay qu’il le pouuoit contrefaire, qu’il auoit à luy dire vn conte. Et fembla qu’i1 ûefforçait pour parler: mais la force luy defaillant, il demanda vn peu de vin pour la luy rendre. Ce fut pour neant; car il euanouit foudain, & fut long temps fans veoir. Eftant deiià 25 bien voiûn de fa mort, & oyant les pleurs de Madamoifelle de la Boëtie, il l’appella, & luy dit ainfy: « Ma femblance, vous vous tourmentez auant le temps : voulez vous pas auoir pitié de moy? Prenez courage. Certes ie porte plus la moitié de peine, pour le mal que ie vous voy fouffrir, que pour le 30 mien, & auec raifon, parce que les maux que nous fentons en nous, ce n’eft pas nous proprement qui les fentons, mais certains fens que Dieu a mis en nous: mais ce que nous fentons pour les autres, c’eft par certain iugement & par difcours de raifon que nous le fentons. Mais ie m’en vois. » 35 Cela difoit il, par ce que le cueur luy failloit. Or, ayant eu