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voulut traduire est d’un attrait plus sévère : c’est la lettre de consolation que Plutarque écrivit à sa femme après la perte de leur fille au berceau. Là encore, La Boétie ne s’est point trouvé inférieur à son entreprise. On sent poindre, dans sa prose émue, la douleur du père et la résignation du philosophe, qui se soumet simplement et dignement au malheur qui le frappe.

Comme on le voit, La Boétie avait beaucoup pratiqué Plutarque. Ainsi que Montaigne, il aimait son attrayante sagesse, qu’il avait plus approfondie encore que Montaigne. Maintes fois il le cite, au cours de la Servitude volontaire, et toujours les préceptes du penseur grec sont traduits avec une exactitude, avec un bonheur d’expression qui montrent l’érudition et le goût de La Boétie[1]. Ce qu’il a essayé d’en faire passer dans notre langue a été rendu avec une consciencieuse élégance, qui lui permet de figurer sans désavantage à côté des traductions mêmes d’Amyot. Assurément il ne peut venir à la pensée de personne de mettre en parallèle le mérite des deux tâches et d’en comparer la valeur : elles sont hors de proportions. Mais si l’on rapproche les deux courts traités de Plutarque traduits par La Boétie de la version donnée par Amyot, on peut voir que cette traduction du jeune helléniste balance souvent celle d’Amyot par des qualités sérieuses et personnelles. Un critique qui a beaucoup étudié Amyot et qui l’a fait surtout au point de vue qui nous occupe, Auguste de Blignières, reconnaît qu’Amyot garde toujours une originalité supérieure de style. « La Boétie est moins égal ; il n’a pas cette lucidité de diction qui jette un jour heureux sur toutes les parties de la pensée, il n’a pas ce charme exquis du naturel, cette vive netteté du coloris, cette douce teinte de bonhomie et de sensibilité dans le style, qui donnent un prix infini à la traduction de son rival[2]. »

Ceci est exact de tous points, mais il est juste d’indiquer à côté, plus amplement qu’on ne l’a fait, les points sur lesquels La Boétie l’emporte. Moins abondant qu’Amyot, La Boétie est un interprète plus précis et suit de plus près l’original. Par la nature même de

  1. L. Feugère a eu tort d’écrire (p. 17 de son étude) que La Boétie emprunte la traduction d’Amyot pour les passages de Putarque qu’il cite dans la Servitude volontaire. Cela n’est pas exact ; la traduction des Œuvres morales par Amyot ne parut pour la première fois qu’en 1572, c’est-à-dire près de dix ans après la mort de La Boétie.
  2. Aug. de Blignières, Essai sur Amyot et les traducteurs français du XVIe siècle, Paris, 1851, in-8o, p. 216.