Page:La Boétie - Discours de la servitude volontaire.djvu/200

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mon frère, qu’on me donnât un peu de loisir ; car je me trouve extrêmement travaillé et si affaibli, que je n’en puis quasi plus. » Je me mis à changer de propos ; mais il se reprit soudain et me dit qu’il ne fallait pas grand loisir à mourir, et me pria de savoir si le notaire avait la main bien légère, car il n’arrêterait guères à dicter. J’appelai le notaire, et sur le champ il dicta si vite son testament qu’on était bien empêché à le suivre. Et ayant achevé, il me pria de lui lire, et parlant à moi : « Voilà, dit-il, le soin d’une belle chose que nos richesses. Sunt hæc quæ hominibus vocantur bona. » Après que le testament eût été signé, comme sa chambre était pleine de gens, il me demanda s’il ferait mal de parler. Je lui dis que non, mais que ce fût fort doucement.

Lors il fit appeler Madamoiselle de Saint-Quentin(¹), sa nièce, et parla ainsi à elle : « Ma nièce, m’amie, il m’a semblé depuis que je t’ai connue, avoir vu reluire en toi des traits de très bonne nature ; mais ces derniers offices que tu fis avec si bonne affection, et telle diligence, à ma présente nécessité, me promettent beaucoup de toi, et vraiment je t’en suis obligé et t’en remercie très affectueusement. Au reste, pour ma décharge, je t’avertis d’être premièrement dévote envers Dieu : car c’est sans doute la principale partie de notre devoir, et sans laquelle nulle autre ac-