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la bataille des trente

les fers aux pieds et aux mains, liés deux à deux, trois à trois, comme des bœufs que l’on mène vendre, en butte aux coups des soudards anglais, voués à leurs prisons infectes.

Malgré sa sagesse et sa modération bien connues, Beaumanoir ne peut contenir son indignation. Dès qu’il aperçut Bembro, il lui dit sans arrogance mais d’un ton sévère :

— C’est grand péché à vous, chevaliers d’Angleterre, de tourmenter de la sorte le menu peuple, les pauvres paysans qui sèment le blé et qui nous procurent en abondance le vin et le bétail. S’ils n’y avait pas de laboureurs, où en serions nous ? Voilà trop longtemps qu’ils souffrent, il faut qu’ils aient la paix à l’avenir. C’est là l’ordre, la dernière volonté de votre chef Dagworth ; hélas ! on ne la respecte guère ! Mais vous, Bembro, l’exécuteur attitré de son testament, je vous somme de l’exécuter[1] !

— Taisez-vous, Beaumanoir ! crie arrogamment Bembro. Ne parlez pas de telles misères. Demain Montfort sera duc de toute la Bretagne, Édouard roi de toute la France, et les Anglais maîtres partout en dépit des Français.

Beaumanoir, qui connaissait le personnage, savait comment il fallait le traiter :

— Vous voilà encore, Bembro, avec vos rêves saugrenus et vos ridicules bravades ; je n’en fais aucun cas. Ceux qui crient le plus haut sont souvent les premiers à lâcher pied. Pour agir en homme sérieux, vous et moi, voici ce qu’il faut faire. Il faut nous rencontrer en face l’un de l’autre à un jour fixé, au nombre de trente, quarante, cinquante champions de chaque côté, et nous battre là rudement, loyalement. On verra alors, sans plus de paroles, de quel côté est le droit.

— Par ma foi j’accepte ! dit Bembro[2].

Beaumanoir, qui ne voulait pas être joué par le pèlerin, insiste :

— N’allez pas manquer à votre parole, Bembro. On fait souvent,

  1. « Le testament Dagorne (Dagwortth) est bientost oublié
    Executour en estes : qu’il soit exécuté ! »

    (Laisse 3, Crapelet p. 15). Le dernier vers manque dans Crapelet, mais il est dans le ms. Didot.

  2. Laisses 3 et 4, édit. Crapelet, p. 15 et 16.