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PRÉFACE.


C’est une aventure assez connue, arrivée à Paris au commencement de ce siècle qui a fourni le sujet de ce Drame. Le fait est plaisant & sert à prouver que l’orgueil des rangs, si haut, si intraitable dans ses discours, sait s’humaniser à propos, & qu’il ne s’agit au fond que des conditions pécuniaires.

C’est en même tems un exemple (quoiqu’en petit) de ce qui se passe tous les jours dans le monde : toutes ces plaintes sur de prétendues mésalliances sont ordinairement le cri de la cupidité trompée. On unit pour toute la vie (au nom de l’argent) deux personnes, qui ne se sont jamais vues ; on sépare deux ames sensibles, faites l’une pour l’autre, & le mariage, contrat & lien des cœurs, est déshonoré par ce calcul intéressé, qui semble éteindre les plaisirs de l’amour & vendre jusqu’aux chastes baisers de l’innocence.

Voilà l’ouvrage des hommes. Ils s’unissent ou se méprisent, ils s’embrassent ou se repoussent, ils se flattent ou se déchirent, à raison d’un coffre fort vuide ou plein ; & ils accusent ensuite le plus auguste des nœuds, des malheurs qu’ils ont préparés eux-mêmes. Plus ou moins d’un métal jaune ou blanc établit des intervalles immenses entre citoyens enfans de la même patrie & égaux par leur mutuelle dépendance, quand ils ne le seraient pas par la loi de nature !