Page:La Brouette du vinaigrier Mercier Louis-Sébastien 1775.pdf/41

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Dominique fils, vivement.

Je n’oserai jamais… mais d’où vient que je n’oserai pas… suis-je donc criminel ? non, non ; ah ! mon pere, mon pere ! pourquoi n’êtes-vous pas dans un état plus relevé… Avec tant de vertus, vous méritiez d’être tout autre que ce que vous êtes.

Dominique pere.

En voici bien d’une autre !… & qu’est-ce que cela te fait, si je suis content, heureux, satisfait ?… mais parle-moi avec franchise ; rougirais-tu dans le monde d’avoir un pere Vinaigrier ? Aurais-tu conçu ce pitoyable orgueil ? C’est une maladie commune à beaucoup d’enfants que leur pere a faits un peu plus qu’eux, & nous raisonnerions ensemble pour tâcher de la guérir ; car l’homme est si sujet à se laisser prendre à des fantômes !… Va, j’ai prévu dès ton enfance que cette idée-là pourrait te saisir un jour ; j’y ai pourvu, & je n’en ai point pris d’alarmes.

Dominique fils.

Mon pere ! je vous respecte, je vous chéris, je n’ai jamais rougi un seul instant de vous avouer aux yeux de tout le monde. Il me serait permis de choisir, que je ne choisirais pas un autre pere que vous, je vous préfererais au plus riche, au plus illustre Citoyen de cette ville ; mais le préjugé fait que tout le monde ne pense pas comme moi, & je suis malheureux, peut-être à jamais, par cette seule cause.