Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 2.djvu/137

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traite honnêtement et sérieusement ; il emploie à leur égard tout ce qui peut éloigner leur familiarité, il ne veut pas les mieux connaître ni s’en faire des amis, semblable en ce sens à une femme qui est en visite chez une autre femme.

I56 (VII)

La raison tient de la vérité, elle est une ; l’on n’y arrive que par un chemin, et l’on s’en écarte par mille. L’étude de la sagesse a moins d’étendue que celle que l’on ferait des sots et des impertinents. Celui qui n’a vu que des hommes polis et raisonnables, ou ne connaît pas l’homme, ou ne le connaît qu’à demi : quelque diversité qui se trouve dans les complexions ou dans les mœurs, le commerce du monde et la politesse donnent les mêmes apparences, font qu’on se ressemble les uns aux autres par des dehors qui plaisent réciproquement, qui semblent communs à tous, et qui font croire qu’il n’y a rien ailleurs qui ne s’y rapporte. Celui au contraire qui se jette dans le peuple ou dans la province y fait bientôt, s’il a des yeux, d’étranges découvertes, y voit des choses qui lui sont nouvelles, dont il ne se doutait pas, dont il ne pouvait avoir le moindre soupçon : il avance par des expériences continuelles dans la connaissance de l’humanité ; il calcule presque en combien de manières différentes l’homme peut être insupportable.

I57 (IV)

Après avoir mûrement approfondi les hommes et connu le faux de leurs pensées, de leurs