Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 2.djvu/148

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vous-même, vous croyez-vous sans aucun esprit ? et si vous en avez, c’est sans doute de celui qui est beau et convenable : vous voilà donc un bel esprit ; ou s’il s’en faut peu que vous ne preniez ce nom pour une injure, continuez, j’y consens, de le donner à Eurypyle, et d’employer cette ironie comme les sots, sans le moindre discernement, ou comme les ignorants, qu’elle console d’une certaine culture qui leur manque, et qu’ils ne voient que dans les autres.

2I (V)

Qu’on ne me parle jamais d’encre, de papier, de plume, de style, d’imprimeur, d’imprimerie, qu’on ne se hasarde plus de me dire : « Vous écrivez si bien, Antisthène ! continuez d’écrire ; ne verrons-nous point de vous un in-folio ? traitez de toutes les vertus et de tous les vices dans un ouvrage suivi, méthodique, qui n’ait point de fin » ; ils devraient ajouter : « et nul cours. » Je renonce à tout ce qui a été, qui est et qui sera livre. Bérylle tombe en syncope à la vue d’un chat, et moi à la vue d’un livre. Suis-je mieux nourri et plus lourdement vêtu, suis-je dans ma chambre à l’abri du nord, ai-je un lit de plumes, après vingt ans entiers qu’on me débite dans la place ? J’ai un grand nom, dites-vous, et beaucoup de gloire : dites que j’ai beaucoup de vent qui ne sert à rien. Ai-je un grain de ce métal qui procure toutes choses ? Le vil praticien grossit son mémoire, se fait rembourser des frais