Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 2.djvu/240

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qu’on y pensât ; l’on était pendant toute sa vie le mari de sa femme, bonne ou mauvaise : même table, même demeure, même lit ; l’on n’en était point quitte pour une pension ; avec des enfants et un ménage complet, l’on n’avait pas les apparences et les délices du célibat.

35 (V)

Qu’on évite d’être vu seul avec une femme qui n’est point la sienne, voilà une pudeur qui est bien placée : qu’on sente quelque peine à se trouver dans le monde avec des personnes dont la réputation est attaquée, cela n’est pas incompréhensible. Mais quelle mauvaise honte fait rougir un homme de sa propre femme, et l’empêche de paraître dans le public avec celle qu’il s’est choisie pour sa compagne inséparable, qui doit faire sa joie, ses délices et toute sa société ; avec celle qu’il aime et qu’il estime, qui est son ornement, dont l’esprit, le mérite, la vertu, l’alliance lui font honneur ? Que ne commence-t-il par rougir de son mariage ? Je connais la force de la coutume, et jusqu’où elle maîtrise les esprits et contraint les mœurs, dans les choses même les plus dénuées de raison et de fondement ; je sens néanmoins que j’aurais l’impudence de me promener au Cours, et d’y passer en revue avec une personne qui serait ma femme.

36 (V)

Ce n’est pas une honte ni une faute à un jeune homme que d’épouser une femme avancée en âge ;