Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 2.djvu/256

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il est vrai ; il ne rend pas la vie aux hommes ; mais il les conduit nécessairement jusqu’à la décrépitude, et ce n’est que par hasard que son père et son aïeul, qui avaient ce secret, sont morts fort jeunes. Les médecins reçoivent pour leurs visites ce qu’on leur donne ; quelques-uns se contentent d’un remerciement : Carro Carri est si sûr de son remède, et de l’effet qui en doit suivre, qu’il n’hésite pas de s’en faire payer d’avance, et de recevoir avant que de donner. Si le mal est incurable, tant mieux, il n’en est que plus digne de son application et de son remède. Commencez par lui livrer quelques sacs de mille francs, passez-lui un contrat de constitution, donnez-lui une de vos terres, la plus petite, et ne soyez pas ensuite plus inquiet que lui de votre guérison. L’émulation de cet homme a peuplé le monde de noms en Ô et en I, noms vénérables, qui imposent aux malades et aux maladies. Vos médecins, Fagon, et de toutes les facultés, avouez-le, ne guérissent pas toujours, ni sûrement ; ceux au contraire qui ont hérité de leurs pères la médecine pratique, et à qui l’expérience est échue par succession, promettent toujours, et avec serments, qu’on guérira. Qu’il est doux aux hommes de tout espérer d’une maladie mortelle, et de se porter encore passablement bien à l’agonie ! La mort surprend agréablement