Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 2.djvu/73

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ne l’est pas moins, et ne dit pas ce qu’il en pense : il a affaire à un fâcheux, à un homme oisif, qui se retirera à la fin, il l’espère, et il prend patience : la nuit arrive qu’il est à peine détrompé. Une autre fois il rend visite à une femme, et, se persuadant bientôt que c’est lui qui la reçoit, il s’établit dans son fauteuil, et ne songe nullement à l’abandonner : il trouve ensuite que cette dame fait ses visites longues, il attend à tous moments qu’elle se lève et le laisse en liberté ; mais comme cela tire en longueur, qu’il a faim, et que la nuit est déjà avancée, il la prie à souper : elle rit, et si haut, qu’elle le réveille. Lui-même se marie le matin, l’oublie le soir, et découche la nuit de ses noces ; et quelques années après il perd sa femme, elle meurt entre ses bras, il assiste à ses obsèques, et le lendemain, quand on lui vient dire qu’on a servi, il demande si sa femme est prête et si elle est avertie. C’est lui encore qui entre dans une église, et prenant l’aveugle qui est collé à la porte pour un pilier, et sa tasse pour le bénitier, y plonge la main, la porte à son front, lorsqu’il entend tout d’un coup le pilier qui parle, et qui lui offre des oraisons. Il s’avance dans la nef, il croit voir un prie-Dieu, il se jette lourdement dessus : la machine plie, s’enfonce, et fait des efforts pour crier ; Ménalque est surpris de se voir à genoux sur les jambes d’un fort petit homme, appuyé sur son dos, les deux bras passés sur ses épaules, et