Page:La Bruyere - Caracteres ed 1696.djvu/150

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nous fait faire ou de mauvaises demandes ou de sottes réponses, et une attention importune qu’on a au moindre mot qui échappe, pour le relever, badiner autour, y trouver un mystère que les autres n’y voient pas, y chercher de la finesse et de la subtilité, seulement pour avoir occasion d’y placer la sienne.

11. — Être infatué de soi, et s’être fortement persuadé qu’on a beaucoup d’esprit, est un accident qui n’arrive guère qu’à celui qui n’en a point, ou qui en a peu. Malheur pour lors à qui est exposé à l’entretien d’un tel personnage ! combien de jolies phrases lui faudra-t-il essuyer ! combien de ces mots aventuriers qui paraissent subitement, durent un temps, et que bientôt on ne revoit plus ! S’il conte une nouvelle, c’est moins pour l’apprendre à ceux qui l’écoutent, que pour avoir le mérite de la dire, et de la dire bien : elle devient un roman entre ses mains ; il fait penser les gens à sa manière, leur met en la bouche ses petites façons de parler, et les fait toujours parler longtemps ; il tombe ensuite en des parenthèses, qui peuvent passer pour épisodes, mais qui font oublier le gros de l’histoire, et à lui qui vous parle, et à vous qui le supportez. Que serait-ce de vous et de lui, si quelqu’un ne survenait heureusement pour déranger le cercle, et faire oublier la narration ?

12. — J’entends Théodecte de l’antichambre ; il grossit sa voix à mesure qu’il s’approche ; le voilà entré : il rit, il crie, il éclate ; on bouche ses oreilles, c’est un tonnerre. Il n’est pas moins redoutable par les choses qu’il dit que par le ton dont il parle. Il ne s’apaise, et il ne revient de ce grand fracas que pour bredouiller des vanités et des sottises. Il a si peu d’égard au temps, aux personnes, aux bienséances, que chacun a son fait sans qu’il