Page:La Bruyere - Caracteres ed 1696.djvu/207

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pour avoir le ſuperflu, ni préférer le faſte aux choſes utiles. On ne les voyoit point s’éclairer avec des bougies, & ſe chauffer à un petit feu : la cire étoit pour l’autel & pour le Louvre. Ils ne ſortaient point d’un mauvais dîner pour monter dans leur carroſſe, ils ſe perſuadaient que l’homme avoit des jambes pour marcher & ils marchaient. Ils ſe conſervaient propres quand il faiſçait ſec & dans un temps humide ils gataient leur chauſſure auſſi peu embarraſſez de franchir les rues & les carrefours, que le chaſſeur de traverſer un guéret, ou le ſoldat de ſe mouiller dans une tranchée. On n’avoit pas encore imaginé d’atteler deux hommes à une litière ; il y avoit meſme pluſieurs magiſtrats qui allaient à pied à la chambre ou aux enqueſtes d’auſſi bonne grace qu’Auguſte autrefois alloit dé ſon pied au Capitole. L’étain dans ce temps brilloit ſur les tables & ſur les buffets, comme le fer & le cuivre dans les foyers ; l’argent & l’or étaient dans les coffres. Les femmes ſe faiſaient ſervir par des femmes ; on mettoit celles-ci juſqu’à la cuiſine. Les beaux noms de gouverneurs & de gouvernantes n’étaient pas inconnus à nos pères : ils ſavaient à qui l’on confioit les enfants des rois & des plus grands princes ; mais ils partageaient le ſervice de leurs domeſtiques avec leurs enfants, contents de veiller eux-meſmes immédiatement à leur éducation. Ils comptaient en toutes choſes avec eux-meſmes : leur dépenſe étoit proportionnée à leur recette ; leurs livrées, leurs équipages, leurs meubles, leur table, leurs maiſons de la ville & de la campagne, tout étoit meſuré ſur leurs rentes & ſur leur condition. Il y avoit entre eux des diſtinctions extérieures qui empeſchaient qu’on ne prît la femme du praticyen pour celle du magiſtrat & le roturier