Page:La Bruyere - Caracteres ed 1696.djvu/85

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ris dont on veut les couvrir prouvent clairement que l’effet naturel du grand tragique ſeroit de pleurer tous franchement & de concert à la vue l’un de l’autre, & ſans autre embarras que d’eſſuyer ſes larmes, outre qu’après eſtre convenu de s’y abandonner, on éprouveroit encore qu’il y a ſouvent moins lieu de craindre de pleurer au théatre que de s’y morfondre.

51. — Le poème tragique vous ſerre le cœur dès ſon commencement, vous laiſſe à peine dans tout ſon progrès la liberté de reſpirer & le temps de vous remettre, ou s’il vous donne quelque relache, c’eſt pour vous replonger dans de nouveaux abîmes & dans de nouvelles alarmes. Il vous conduit à la terreur par la pitié, ou réciproquement à la pitié par le terrible vous mène par les larmes, par les ſanglots, par l’incertitude, par l’eſpérance, par la crainte, par les ſurpriſes & par l’horreur juſqu’à la cataſtrophe. Ce n’eſt donc pas un tiſſu de jolis ſentiments, de déclarations tendres, d’entretiens galants, de portraits agréables de mots doucereux, ou quelquefois aſſez plaiſants pour faire rire, ſuivi à la vérité d’une dernière ſcène où les mutins n’entendent aucune raiſon, & où, pour la bienſéance, il y a enfin du ſang répandu, & quelque malheureux à qui il en coûte la vie.

52. — Ce n’eſt point aſſez que les mœurs du théatre ne ſoyent point mauvaiſes, il faut encore qu’elles ſoyent décentes & inſtructives. Il peut y avoir un ridicule ſi bas & ſi groſſier, ou meſme ſi fade & ſi indifférent qu’il n’eſt ni permis au poète d’y faire attention, ni poſſible aux ſpectateurs