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croisade contre les albigeois.

prendre ; [490] et sans cela, je vous jure ma foi que les croisés ne les auraient pas encore conquis de vive force. Voilà pourquoi [les habitants] furent à Béziers détruits et mis à mal : tous ils (les croisés) les occirent : ils ne peuvent leur faire pis[1]. Ils massacraient tous ceux qui s’étaient réfugiés dans le moûtier[2] ; [495] rien ne put les sauver, ni croix, ni autel, ni crucifix ; et ces fous ribauds mendiants massacraient les clercs, et femmes et enfants, tellement que je ne crois pas qu’un seul en soit échappé[3]. Dieu reçoive les âmes, s’il lui plaît, en paradis ! car je ne pense pas que jamais, depuis le temps des Sarrazins[4], si sauvage massacre [500] ait été résolu ni accompli. Les goujats se sont installés dans les maisons qu’ils ont prises, qu’ils trouvent toutes garnies et bourrées de richesses. Mais les Français, quand ils le virent, peu s’en faut qu’ils n’enragent : dehors ils les jettent à coup de triques, comme des mâtins, [505] et mettent dans les maisons les chevaux et les roncins [5], car les forces paissent le pré[6].

  1. Locution empruntée aux chansons de geste françaises.
  2. D’après P. de V.-C. ch. XV, Bouquet, XIX, 20 c, c’est dans l’église de la Madeleine qu’eut lieu le principal massacre : « usque ad septem millia de ipsis Biterrensibus interfecti. »
  3. L’auteur ne s’était pas montré aussi absolu un peu plus haut, v. 253-5.
  4. Il y a ici un vague souvenir des ravages exercés par les Sarrazins dans le midi de la Gaule au viiie et au ixe siècle.
  5. Mauvais cheval ; j’emploie l’expression de l’ancien français.
  6. C.-à-d. : bon gré mal gré, les forces (grands ciseaux) tondent le pré. Sur ce proverbe, qui est des plus fréquents en anc. fr., voy. mes Rapports au Ministre, p. 173, note 7.