Page:La Chanson de la croisade contre les Albigeois, 1875, tome 2.djvu/17

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v
introduction, § ii.

portun de te reprendre, nous espérons à peine parvenir à te corriger. Quel orgueil s’est emparé de ton cœur ? quelle folie t’a saisi, homme pestilentiel, pour que, dédaignant de garder la paix envers ton prochain, t’éloignant des lois divines, tu te sois allié aux ennemis de la vérité catholique ?...

Suivent des reproches — que n’accompagne aucun semblant de preuve — de s’être allié aux hérétiques, et pour couronner le tout, la menace du sort de Nabuchodonosor[1].

Si grande qu’on veuille bien faire la part de la phraséologie en usage dans le style ecclésiastique, il faut avouer que c’est là une lettre violente. Pourtant, si nous cherchons à connaître les véritables sentiments d’Innocent III à l’égard de Raimon VI, nous découvrons qu’ils furent souvent ceux d’une véritable bienveillance ; que le pape, toutes les fois que son action personnelle se révèle à nous, agit envers le comte de Toulouse avec prudence et modération. Je n’invoquerai pas à ce propos les témoignages concordants, et par conséquent très-graves, des deux auteurs de la chanson, qui l’un et l’autre en des circonstances différentes[2] nous montrent le pape plein de compassion, d’affection même, pour Raimon VI — l’autorité de la chanson, qui sera établie peu à peu dans ce travail, ne doit pas être présumée dès maintenant — mais je citerai Pierre de Vaux-Cernai, l’historien en quelque sorte officiel de la croisade, qui en plus d’un endroit accuse le pape d’une mollesse que certes ne laisse pas soupçonner la correspondance. Ainsi, lorsque, au commencement de l’année 1213, le roi d’Aragon, n’ayant pas encore pris définitivement parti contre la croisade, fit des démarches en faveur du comte de Toulouse, les évêques,

  1. Innoc. epist., X, LXIX.
  2. D’abord lors du voyage de Raimon VI à Rome, en 1210 (v. 984-94), ensuite au concile de 1215.