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croisade contre les albigeois.

fils, de leurs pères, de leurs parents, que vous leur avez tués et dont ils ont le cœur dolent. Quand ils auront l’autre comte dans le vieux bâtiment[1], leur amour pour lui leur rendra l’énergie [5455] à ce point qu’ils vous ruineront, vous et le reste du pays. Rappelez-vous la réponse du cruel serpent, celui qui dit au vilain qui lui proposait un accord : Tant que je verrai la brèche [faite par la hache] et que tu verras le berceau [de ton enfant], nous nous garderons rancune ; et c’est pourquoi je me sauve[2].

  1. En lo velh fondament. S’agit-il ici de l’habitation des comtes de Toulouse en cette ville ? ou n’est-il pas préférable de faire dépendre ces mots de pendran afortiment, du vers suivant ? En ce cas on entendrait par velh fondament l’ancienneté de la race des comtes de Toulouse. Fauriel : « avec leurs anciens usages ».
  2. Allusion à une fable dont il existe d’assez nombreuses rédactions, et qui offre un rapport éloigné avec la Poule aux œufs d’or de La Fontaine. Celle de ces rédactions qui convient le mieux ici est la fable 63 de Marie de France : La compaignie dou vilain et dou serpent. Un vilain était devenu très-riche grâce aux conseils et aux dons d’un serpent auquel il portait du lait deux fois le jour. Obéissant à une suggestion de sa femme, il voulut, un jour, tuer son bienfaiteur, mais le serpent échappa à la hache qui allait le frapper, et, pour se venger, fit périr les troupeaux du vilain, et même son enfant. Le vilain essaya de faire sa paix, mais le serpent, toujours en défiance, ne voulut y consentir qu’à la condition que jamais le vilain ne l’approcherait :

    Ne sai cument ge te kreroie
    Tant cum en ceste pierre voie
    Le cop que ta hache i feri ; (= la osca du v. 5458)
    Et si resai trés bien de fi
    Quant le bers veiras devant tei
    Ou tes anfez fu morz par mei,
    Que de mei t’estovra mambrer. (Cf. v. 5459.)

    Il n’est aucunement probable que l’auteur du poëme de la Croisade ait connu cette fable par Marie de France. Il l’avait, selon toute vraisemblance, lue dans le texte latin d’où Marie l’aura tirée.