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croisade contre les albigeois.

y sont, [6160] tristes, affligées, pleurant, sans cesse ; craignant la mort et les supplices. — Où était Gui mon frère ? — Sire, j’ai ouï dire qu’avec une bonne troupe, que vous conduisez d’ordinaire, il voulait marcher droit sur Toulouse [6165] pour combattre la ville, la prendre et la forcer, mais il ne me paraît pas qu’il y puisse réussir. — Mon ami, » dit le comte, « tâche de garder le secret : car si personne te voyait faire autre chose que rire et plaisanter, je te ferais brûler, pendre ou couper en morceaux. [6170] Et si on te demande des nouvelles, sache te bien expliquer : dis que personne n’ose envahir ma terre. — Sire, » dit le messager, « point n’est besoin de me le recommander. »

Quand le comte reparut, après avoir ouï la lettre, à lui vinrent les princes et tous les pairs. [6175] Mais le comte est si sage et si habile à dissimuler, à cacher ses pertes, à faire valoir ses avantages, que sa bouche riait, tandis que son cœur soupirait. Ils lui demandent des nouvelles ; et lui de plaisanter : « Seigneurs, » dit le comte, « je vous puis bien dire et prouver [6180] que j’ai bien raison de révérer et de remercier Jésus-Christ, car onques il ne me donna tant de bonheur, ce me semble. Mon frère m’envoie des lettres dont j’ai tout lieu de me réjouir, à savoir que nulle part on ne peut me résister, et que le comte Raimon est allé à l’aventure [6185] par les royaumes d’Espagne, n’ayant où s’établir, et que les bannis s’enfuient par Bordeaux jusqu’à la mer, et qu’en toute ma terre on n’en trouve plus un seul ; et que le roi d’Angleterre veut conclure un accord avec moi, et augmenter ma terre pour que