Page:La Chanson de la croisade contre les Albigeois, 1875, tome 2.djvu/53

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
xlj
introduction, § viii.

Les traits qui décèlent le jongleur ou troubadour de profession sont nombreux chez Guillem de Tudèle. Comme tous ses confrères, il tenait la libéralité pour la vertu la plus digne d’éloges. Il a bien soin de nous dire que Baudouin, son protecteur, fit de grandes dépenses au siège de Moissac[1], que Simon de Montfort était large[2]. L’infortuné Aimeric, qui fut pendu à la prise de Lavaur, lui inspire quelque pitié, quoique hérétique ou ami des hérétiques, parce qu’il était large dépensier[3]. Un trait commun à un grand nombre de poètes du moyen âge, et qui se retrouve chez Guillem, c’est la tendance à opposer la libéralité des seigneurs d’autrefois à la parcimonie des seigneurs du temps présent. La sortie qu’il fait à la fin de la laisse IX contre l’avarice de ses contemporains est d’un pur jongleur.

Il aurait pu, comme fit près d’un siècle plus tard un autre clerc troubadour, Raimon Féraut, faire une longue énumération des livres qu’il avait lus, et on y aurait sans doute vu figurer bon nombre de nos anciens poèmes. Les réminiscences de ses lectures percent çà et là dans sa narra-

    egritudinibus suis vel in angustiis suis, et non faciunt innumeras turpitudines sicut faciunt saltatores et saltatrices... Si autem non faciunt talia, sed cantant gesta principum in instrumentis suis, ut faciant solatia hominibus, sicut dictum est, bene possunt sustineri taies, sicut ait Alexander papa » (Somme de pénitence du xiiie siècle citée dans la préface de Huon de Bordeaux, éd. Guessard et Grandmaison, p. vj). Dans cet extrait sont désignés plutôt ceux qui récitent ou chantent les poèmes que ceux qui les composent, mais les deux fonctions étaient souvent remplies par la même personne, et d’ailleurs la bienveillance de l’Église devait a fortiori s’appliquer aux auteurs des écrits considérés comme louables.

  1. V. 2525.
  2. V. 801.
  3. V. 1549. Cet Aimeric n’est pas différent d’« Aimeric de Monrial » qui figure dans la vie de Raimon de Miraval (Parn. occit., p. 221) en compagnie de plusieurs des plus brillants seigneurs du temps.