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« Le temps prendra nos jours, comme le vent les feuilles.
« Nous n’aurons nul regret de les voir s’envoler ;
« Quel songe fait celui qui les veut assembler !
« Promets-tu la durée à des fleurs que tu cueilles ?

« Mais tu vas ton chemin ! Par grâce, écoute encor !
« Pitié ! Je suis un cœur mauvais, hanté des vices :
« J’embrasse tes genoux, pour que tu me ravisses
« À la séduction qui leur donne l’essor. »

Elle me répondit : « Marchez donc dans ma voie
« Je suis sœur des damnés et je n’ai point de peur.
« Vous m’aimez ? Suivez-moi, vous deviendrez meilleur
« Et même vous ferez l’œuvre humaine avec joie. »



Ô Beauté de l’Aimée ! ô Souverain Pouvoir !
Tu domptas de mon cœur les puissances rebelles
Et ta grâce ayant mis le nombre et l’ordre en elles,
J’eus l’âme harmonieuse à force de te voir !

Comme un brusque rayon d’aurorale lumière
Apaise et fait chanter dans sa joie, au réveil,
Le dormeur qu’effrayait un monstrueux sommeil,
J’ai vu la Vérité, Femme, sous ta paupière.

J’ai connu que la vie est un rêve et fait peur,
À moins d’y découvrir le Dieu qui la pénètre ;
J’ai connu que ce Dieu, c’est la Beauté, dont l’être
Se dérobe aux cœurs froids indignes du bonheur.

« Cherchez, vous trouverez ! » Sais-tu, ma douce amante,
Lorsque, dans la cité, mes pas rythment tes pas,
Que ces mots, par moments, mon cœur les dit tout bas,
Et sais-tu que ta voix tendrement les commente ?

Elle dit « Près de moi tu vas, tes yeux sereins,
Dans des clartés, aux sons d’un orchestre invisible,
Parce que le Divin, dans ma chair fait sensible,
Par ta lèvre est touché, quand des bras tu m’étreins

Mais ma beauté révélatrice est périssable.
Elle t’a dit le mot de la félicité :
Prends garde que la haine est une cécité.
Le secret est d’aimer d’un amour inlassable ! »


EUGÈNE HOLLANDE.