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VERS


I



Dans le jardin, près des rosiers qu’un souffle frôle
Telle, les soirs d’été, légère, elle passait.
Je marchais, immobile à côté d’elle, et c’est
Le vent seul qui faisait frissonner son épaule.

Un frisson me prend au regret des soirs d’été,
Frisson d’amour, regret vague qui se dérobe,
Les soirs sont loin où les reflets bleus de sa robe
Mettaient la joie en mon pauvre cœur enchanté.

Quand la brise soufflait plus fraîche dans les branches,
Ses cheveux fins semblaient s’éparpiller dans l’air.
Par instants le ciel bas s’entr’ouvrait d’un éclair.
Elle marchait très droite en redressant les hanches.


II


Ô ! vous, que pour me faire oublier j’ai choisie
L’oubli que je cherchais en vous n’est pas venu.
Je baiserai pourtant votre bras lisse et nu
D’un baiser tendre, avec quelque mélancolie.

Vous m’avez accueilli, plus douce, avec douceur.
Et souriant presque gaîment de votre œil grave,
Je resterai votre ami cher et votre esclave,
Je serai votre frère et vous serez na sœur.

Lorsque nous rentrerons, la nuit, par les rues vides,
Les pavés gris, au clair de lune, blanchiront,
Je poserai mon front lassé sur votre front,
J’effacerai sous mes baisers vos tristes rides.


III


Nous viendrons nous asseoir, quand nous serons lassés,
Dans le jardin, sous l’ombre claire des verdures. `
Nous ne nous dirons pas de paroles trop dures.
Nous serons indulgents — comme par le passé ?

Nous penserons au jours heureux des étés proches,
Aux jours heureux que les rayons purs traversaient,
Je ne sais plus les mots cruels qui vous blessaient
Nous causerons sans ironie et sans reproches.

Nos espoirs sont ternis, nos désirs sont calmés,
Mais laissez-moi, les yeux fermés, revoir en songe,
Les jours enfuis, les rêves morts, les vieux mensonges
Et croire que jadis nous nous sommes aimés.


LÉON BLUM.