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II.


Ivres et haletants, portés de ciel en ciel
Par l’aveugle et fougueux torrent des Destinées,
Pourquoi jaillissez-vous du Vide originel ?
Que sont des milliards de milliards d’années,
Quand vient l’heure où tout rentre au repos éternel ?

Soleils, Mondes, Amour, illusions sublimes,
Désirs, splendeurs ! si tout est éphémère et vain
Dans nos cœurs aussi bien qu’en vos profonds abîmes,
Votre instant est sacré, votre rêve est divin,
Soleils, Mondes, Amour, illusions sublimes !

Croulez donc dans la nuit du Gouffre illimité,
Mondes ! Vivants soleils, éteignez donc vos flammes !
Et toi, qui fais un Dieu de l’homme, ô volupté,
Amour ! Tu peux mourir, ô lumière des âmes,
Car ton rapide éclair contient l’éternité.


LECONTE DE LISLE.




L’INDIFFÉRENT



Au fronton, dénué des masques et d’emblèmes,
Sans lierre ni roses, sans éveil d’oiseaux
Ni froissement de plis soyeux, les pierres blêmes
S’ouvraient, comme un regard aveugle sur les eaux.

Le vent n’y berçait qu’un subtil souffle d’énigme.
— Nuls rayons transparus sous la porte, les nuits ;
Nuls bruits, ne dénonçaient la présence anonyme
D’un maître venu là songer d’anciens ennuis.

Il émanait du marbre une pourpre vivante,
Pour l’adieu du soleil sombrant vers le cap noir ;
— Mais quel amour secret du gloire ou d’épouvante
Vibrait, dans cette lutte avec es feux du soir !…