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les voluptés fondraient son énergie. La femme l’écarte par de tendres paroles :

« Crois-tu que je n’en souffre pas autant que toi ; mais il faut que tu deviennes un homme. »

Une femme, qui agirait autrement, serait blâmée et le mari, qui se fâcherait, encourrait la terrible colère paternelle. D’ailleurs, le mariage est une affaire sérieuse qui se règle entre les parents.

L’Histoire de Tchoun-Hyang rompt la coutume d’unir des gens qui ne se connaissent pas. Ici, la jeune fille se donne à celui qu’elle aime, et I-Toreng n’hésite pas à s’engager avec Tchoun-Hyang, à l’insu de ses parents.

Il est à noter que nul ne périt dans cette histoire, pas même le méchant mandarin ; l’auteur n’a pas voulu de sang sur les figures suaves de ses Héros : I-Toreng et Tchoun-Hyang gardent jusqu’au bout leur exquise bonté, leur noblesse, si haute que nous ne pouvons rien leur opposer de plus grand dans notre orgueilleuse Europe. Cette même jeune fille, qui a rejeté tout vain scrupule de pudeur pour se donner à son amant, Sera d’une inébranlable fidélité ; aucune action vile, aucune parole envenimée par le soupçon me lui viendra dans l’infortune. Dès qu’I-Toreng est parti, elle se vêt pauvrement, elle met dans un coffre ses parures, ces mêmes parures qu’elle fera vendre plus tard pour secourir son ami. Après une longue absence, I-Toreng se montre à la lucarne de la prison et elle le regarde :

« Oh ! — s’écrie-t-elle, éclatant en sanglots, — il y a si longtemps ! si longtemps ! »

Et elle passe fiévreusement sa main par la lucarne, elle y passe aussi la tête qu’elle livre aux baisers de l’amant. Et l’amant m’est plus qu’un vagabond sordide !

Pour sobres, les traits de mœurs sont bien saisis : le domestique avide et artificieux, la vieille entremetteuse plaintive, l’aveugle nécromancien qui refuse énergiquement de la main droite, tandis que sa gauche s’avance pour accepter… Les quelques descriptions renseignent avec clarté : c’est le tremblement des ombres sur le sol, les oiseaux qui ne peuvent dormir dans le bruit des bambous entrechoqués, les poissons qui sommeillent à l’ombre des branches… La lune tient la ace d’honneur en poésie : Tchoun-Hyang apparaît « comme la lune entre deux nuages », et Tchoun-Hyang, regardant I-Toreng, pense que sa « figure est belle comme la lune se levant à l’orient des montagnes ». La fleur n’est pas moins importante ; la bouche de la jeune fille est « comme la fleur dur nénuphar, entre-close sur les eaux », la neige parfumée des fleurs du pêcher vole « comme des papillons au cœur froid ». Toit cela possède un grand charme de candeur, mais l’accent monte, lorsque I-Toreng déclare que « les pleurs des beaux cierges de fête sont les larmes de tout un peuple affligé », que « les chants des courtisanes ne s’élèvent pas plus haut que les gémissements et les cris de reproche de tout un peuple qu’on pressure odieusement. »

Et J.-H. Rosny termine la Préface de Printemps Parfumé par cet apophtegme :

« Nous avons la conviction que cette courte idylle renseignera mieux sur la Corée, sur l’esprit et le sentiment mongols que de plus longue histoires, Elle nous apprendra ce que nous avons besoin d’apprendre toujours : la beauté et la bonté des races rivales ; elle nous inspirera une sympathie tout humaine pour ces frères au teint bronzé, pour ces lentes civilisations jaunes qui peuvent nous apprendre des secrets de durée et de conservation, et peut-être aidera-t-elle que notre encontre avec eux ne soit point destructive, comme le fut notre rencontre avec le rouge ; peut-être aidera-t-elle à quelque bel accord pacifique où nous féconderons leur trop prudente analyse, où ils féconderont notre trop prompte synthèse. »

S.T.F.(à suivre.)

Le Gérant : G. Bério.


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