Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/132

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à l’écrire, ce prince, au lieu de lui aider sérieusement, ne faisait que l’interrompre et lui dire des choses plaisantes. Madame de Clèves entra dans le même esprit de gaieté ; de sorte qu’il y avait déja long-temps qu’ils étaient enfermés, et on était déja venu deux fois de la part de la reine dauphine pour dire à madame de Clèves de se dépêcher, qu’ils n’avaient pas encore fait la moitié de la lettre.

M. de Nemours était bien aise de faire durer un temps qui lui était si agréable, et oubliait les intérêts de son ami. Madame de Clèves ne s’ennuyait pas, et oubliait aussi les intérêts de son oncle. Enfin, à peine à quatre heures la lettre était-elle achevée ; et elle était si mal, et l’écriture dont on la fit copier ressemblait si peu à celle que l’on avait eu dessein d’imiter, qu’il eût fallu que la reine n’eût guère pris de soin d’éclaircir la vérité pour ne la pas connaître : aussi n’y fut-elle pas trompée. Quelque soin que l’on prît de lui persuader que cette lettre s’adressait à M. de Nemours, elle demeura convaincue, non-seulement qu’elle était au vidame de Chartres, mais elle crut que la reine dauphine y avait part, et qu’il y avait quelque intelligence entre eux. Cette pensée augmenta tellement la haine qu’elle avait pour cette princesse, qu’elle ne lui pardonna jamais, et qu’elle la persécuta jusqu’à ce qu’elle l’eût fait sortir de France.

Pour le vidame de Chartres, il fut ruiné auprès d’elle ; et, soit que le cardinal de Lorraine se fût déja rendu maître de son esprit, ou que l’aventure de cette lettre, qui lui fit voir qu’elle était trompée, lui aidât à démêler les autres tromperies que le vidame lui avait