Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/156

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qu’elle me regarde, puisque je lui ai dit le contraire. La qualité d’un homme amoureux me peut convenir ; mais, pour celle d’un homme aimé, je ne crois pas, madame, que vous puissiez me la donner. Ce prince fut bien aise de dire quelque chose à madame la dauphine qui eût du rapport à ce qu’il lui avait fait paraître en d’autres temps, afin de lui détourner l’esprit des pensées qu’elle avait pu avoir. Elle crut bien aussi entendre ce qu’il disait ; mais, sans y répondre, elle continua à lui faire la guerre de son embarras. J’ai été troublé, madame, lui répondit-il, pour l’intérêt de mon ami, et par les justes reproches qu’il me pourrait faire d’avoir redit une chose qui lui est plus chère que la vie. Il ne me l’a néanmoins confiée qu’à demi, et il ne m’a pas nommé la personne qu’il aime : je sais seulement qu’il est l’homme du monde le plus amoureux et le plus à plaindre. Le trouvez-vous si à plaindre, répliqua madame la dauphine, puisqu’il est aimé ? Croyez-vous qu’il le soit, madame, reprit-il, et qu’une personne qui aurait une véritable passion pût la découvrir à son mari ? Cette personne ne connaît pas sans doute l’amour, et elle a pris pour lui une légère reconnaissance de l’attachement que l’on a pour elle. Mon ami ne se peut flatter d’aucune espérance ; mais, tout malheureux qu’il est, il se trouve heureux d’avoir du moins donné la peur de l’aimer, et il ne changerait pas son état contre celui du plus heureux amant du monde. Votre ami a une passion bien aisée à satisfaire, dit madame la dauphine, et je commence à croire que ce n’est pas de vous dont vous parlez. Il ne s’en faut guère, continua-t-elle, que je ne sois de l’avis