Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/161

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cœur et l’esprit plus éloignés et plus altérés qu’ils ne les avaient encore eus.

Il est aisé de s’imaginer en quel état ils passèrent la nuit. M. de Clèves avait épuisé toute sa constance à soutenir le malheur de voir une femme qu’il adorait touchée de passion pour un autre. Il ne lui restait plus de courage : il croyait même n’en devoir pas trouver dans une chose où sa gloire et son honneur étaient si vivement blessés. Il ne savait plus que penser de sa femme : il ne voyait plus quelle conduite il lui devait faire prendre, ni comment il se devait conduire lui-même ; et il ne trouvait de tous côtés que des précipices et des abymes. Enfin, après une agitation et une incertitude très-longues, voyant qu’il devait bientôt s’en aller en Espagne, il prit le parti de ne rien faire qui pût augmenter les soupçons ou la connaissance de son malheureux état. Il alla trouver madame de Clèves, et lui dit qu’il ne s’agissait pas de démêler entre eux qui avait manqué au secret ; mais qu’il s’agissait de faire voir que l’histoire que l’on avait contée était une fable où elle n’avait aucune part ; qu’il dépendait d’elle de le persuader à M. de Nemours et aux autres ; qu’elle n’avait qu’à agir avec lui avec la sévérité et la froideur qu’elle devait avoir pour un homme qui lui témoignait de l’amour ; que, par ce procédé, elle lui ôterait aisément l’opinion qu’elle eût de l’inclination pour lui ; qu’ainsi, il ne fallait point s’affliger de tout ce qu’il aurait pu penser, parce que, si dans la suite elle ne faisait paraître aucune faiblesse, toutes ses pensées se détruiraient aisément ; et que, sur-tout, il fallait qu’elle allât au Louvre et aux assemblées, comme à l’ordinaire.