Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 1.djvu/19

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
13
PREFACE.

sont encore indifferentes au bien ou au mal. Or quelle methode y peut contribuer plus utilement que ces Fables ? Dites à un enfant que Crassus allant contre les Parthes, s’engagea dans leur Païs sans considerer comment il en sortiroit : que cela le fit perir luy et son armée, quelque effort qu’il fist pour se retirer. Dites au mesme enfant, que le Renard et le Bouc descendirent au fond d’un puits pour y éteindre leur soif : que le Renard en sortit s’étant servy des épaules et des cornes de son Camarade comme d’une échelle : au contraire le Bouc y demeura pour n’avoir pas eu tant de prévoyance, et par consequent il faut considerer en toute chose la fin. Je demande lequel de ces deux exemples fera le plus d’impression sur cét enfant. Ne s’arrestera-t-il pas au dernier, comme plus conforme et moins disproportionné que l’autre à la petitesse de son esprit ? Il ne faut pas m’alleguer que les pensées de l’enfance sont d’elles-mesmes assez enfantines, sans y joindre encore de nouvelles Badineries. Ces Badineries ne sont telles qu’en apparence, car dans le fond elles portent un sens tres-solide. Et comme par la definition du Point, de la Ligne, de la Surface, et par d’autres principes tres-familiers nous parvenons à des connoissances qui mesurent enfin le Ciel et la Terre ; de mesme aussi, par les raisonnemens et consequences que l’on peut tirer de ces Fables, on se forme le jugement et les mœurs, on se rend capable des grandes choses.

Elles ne sont pas seulement Morales ; elles donnent encore d’autres connoissances. Les