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D’ESOPE.

blé de presens tant pour luy que pour son Maistre. Le sejour qu’il fit en Egypte est peut-estre cause que quelques uns ont écrit qu’il fut Esclave avec Rhodopé, celle-là qui des liberalitez de ses amans fit élever une des trois Pyramides qui subsistent encore, et qu’on void avec admiration : c’est la plus petite, mais celle qui est bastie avec le plus d’art. Esope à son retour dans Babylone fut receu de Lycerus avec de grandes demonstrations de joye et de bien-veillance : ce Roy luy fit eriger une statuë. L’envie de voir et d’apprendre le fit renoncer à tous ces honneurs. Il quitta la Cour de Lycerus où il avoit tous les avantages qu’on peut souhaiter, et prit congé de ce Prince pour voir la Grece encore une fois. Lycerus ne le laissa point partir sans embrassemens et sans larmes, et sans le faire promettre sur les Autels qu’il reviendroit achever ses jours auprés de luy. Entre les Villes où il s’arresta, Delphes fut une des principales. Les Delphiens l’écouterent fort volontiers, mais ils ne luy rendirent point d’honneurs. Esope piqué de ce mépris, les compara aux bastons qui flottent sur l’onde. On s’imagine de loin, que c’est quelque chose de considerable ; de prés on trouve que ce n’est rien. La comparaison luy coûta cher. Les Delphiens en conceurent une telle haine, et un si violent desir de vengeance (outre qu’ils craignoient d’estre décriez par luy), qu’ils resolurent de l’oster du monde. Pour y parvenir, ils cacherent parmy ses hardes un de leurs vases sacrez, pretendant que par ce moyen ils convaincroient Esope de vol et de sacrilege, et qu’ils le condamneroient à la mort. Comme il fut sorty de Delphes, et qu’il eut pris le chemin de la Phocide, les Delphiens accoururent comme gens qui estoient en peine. Ils l’accuserent d’avoir dérobé leur Vase. Esope le nia avec des sermens : on chercha dans son équipage, et il fut trouvé. Tout ce qu’Esope put dire n’empescha point qu’on ne le traitast comme un criminel infame. Il fut ramené à Delphes chargé de fers,