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LIVRE PREMIER.

Sur son embonpoint qu’il admire.
Il ne tiendra qu’à vous, beau Sire,
D’estre aussi gras que moy, luy repartit le Chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y sont miserables,
Cancres, haires, et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car quoy ? Rien d’assuré : point de franche lipée ;
Tout à la pointe de l’épée.
Suivez-moy ; vous aurez un bien meilleur destin.
Le Loup reprit, Que me faudra-t-il faire ?
Presque rien, dit le Chien, donner la chasse aux gens
Portans bastons, et mendians ;
Flater ceux du logis ; à son Maistre complaire ;
Moyennant quoy vostre salaire
Sera force reliefs de toutes les façons ;
Os de poulets, Os de pigeons :
Sans parler de mainte caresse.
Le Loup déjà se forge une felicité
Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant il vid le col du Chien pelé.
Qu’est-ce là ? luy dit-il. Rien. Quoy rien ? Peu de chose.
Mais encor ? Le colier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? Pas toûjours, mais qu’importe ?
Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte :
Et ne voudrois pas même à ce prix un tresor.
Cela dit, Maistre Loup s’enfuit, et court encor.