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TROISIESME PARTIE.

Ce fut avec une fierté de Reyne
Qu’elle donna la premiere façon
de cocüage ; et, pour le décoron,
Point ne voulut y joindre ses caresses.
A ce garçon la perle des Lucreces
Prendroit du goust ? Quand le premier venin
Fut emporté, nostre Amant prit la main
De sa Maistresse, et de baisers de flâme
La parcourant : Pardon (dit-il) Madame,
Ne vous faschez du tour qu’on vous a fait ;
C’est Callimaque ; approuvez son martyre.
Vous ne sçauriez ce coup vous en dédire ;
Vostre rigueur n’est plus d’aucun effet.
S’il est fatal toutesfois que j’expire ;
J’en suis content : vous avez dans vos mains
Un moyen seur de me priver de vie,
Et le plaisir, bien mieux qu’aucuns venins,
M’achevera ; tout le reste est folie.
Lucrece avoit jusques-là resisté,
Non par defaut de bonne volonté,
Ny que l’Amant ne plust fort à la Belle ;
Mais la pudeur et la simplicité
L’avoient renduë ingrate en dépit d’elle.
Sans dire mot, sans oser respirer,
Pleine de honte et d’amour tout ensemble,
Elle se met aussi-tost à pleurer.
A son Amant peut-elle se montrer
Aprés cela ? qu’en pourra-t-il penser,
Dit-elle en soy, et qu’est-ce qu’il luy semble ?
J’ay bien manqué de courage et d’esprit.
Incontinent un excés de dépit
Saisit son cœur, et fait que la pauvrette
Tourne la teste, et vers le coin du lit
Se va cacher pour derniere retraite.
Elle y voulut tenir bon, mais en vain.
Ne luy restant que ce peu de terrain,
La place fut incontinent renduë.
Le vainqueur l’eut à sa discretion ;