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TROISIESME PARTIE.

Peut-estre le premler eust eu charge de l’ost,
Que sçait-on ? Nul mortel, soit Roland, soit Renaud,
Du danger de répandre exempt ne se peut croire.
Charlemagne luy-mesme auroit eu tort de boire.



V. — LE FAUCON.


Nouvelle tirée de Bocace[1].


Je me souviens d’avoir damné jadis
L’amant avare ; et je m’en dédis.
Si la raison des contraires est bonne,
Le liberal doit estre en Paradis :
Je m’en rapporte à Messieurs de Sorbonne.
Il estoit donc autrefois un Amant
Qui dans Florence aima certaine femme.
Comment aimer ? c’estoit si follement,
Que, pour luy plaire, il eust vendu son ame.
S’agissoit-il de divertir la Dame,
A pleines mains il vous jettoit l’argent
Sçachant tres-bien qu’en amour comme en guerre
On ne doit plaindre un métail[2] qui fait tout,
Renverse murs, jette portes par terre,
N’entreprend rien dont il ne vienne à bout ;
Fait taire chiens, et, quand il veut, servantes,
Et, quand il veut, les rend plus eloquentes
Que Ciceron, et mieux persuadantes :
Bref, ne voudroit avoir laissé debout
Aucune place, et tant forte fust-elle.
Si laissa-t-il sur ses pieds nostre Belle.
Elle tint bon ; Federic échoüa
Prés de ce roc, et le nez s’y cassa ;
Sans fruit aucun vendit et fricassa

  1. Decameron, giornata V, novella IX.
  2. Ainsi dans l’édition de 1671 ; métal dans celle de 1685.