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PREMIERE PARTIE.

Mais un gros lourdaut de Valet !
C’est à quoy j’ay plus de regret ;
Plus j’y pense, et plus j’en enrage[1].
Ou l’amour est aveugle, ou bien il n’est pas sage
D’avoir assemblé ces Amans.
Ce sont, helas ! ses divertissemens !
Et possible est-ce par gageure
Qu’il a causé cette avanture.
Le souvenir fâcheux d’un si perfide tour
Alteroit fort la beauté de Joconde ;
Ce n’estoit plus ce miracle d’amour
Qui devoit charmer tout le monde.
Les Dames le voyant arrriver à la Cour,
Dirent d’abord : Est-ce là ce Narcisse
Qui pretendoit tous nos cœurs enchaîner ?
Quoy ! le pauvre homme a la jaunisse !
Ce n’est pas pour nous la donner.
A quel propos nous amener
Un Galant qui vient de jeusner
La quarantaine ?
On se fust bien passé de prendre tant de peine.
Astolphe estoit ravy : le frere estoit confus,
Et ne sçavoit que penser là dessus,
Car Joconde cachoit avec un soin extrême
La cause de son ennuy :
On remarquoit pourtant en luy,
Malgré ses yeux cavez et son visage blême,
De fort beaux traits, mais qui ne plaisoient point,
Faute d’eclat et d’embonpoint.
Amour en eut pitié ; d’ailleurs cette tristesse
Faisoit perdre à ce Dieu trop d’encens et de vœux ;
L’un des plus grands supposts de l’Empire amoureux
Consumoit en regrets la fleur de sa jeunesse.
Le Romain se vid donc à la fin soulagé
Par le mesme pouvoir qui l’avoit affligé.

  1. Edition originale et 1re édition de la 1re partie.
    Plus j’y pense et plus j’enrage.