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CONTES ET NOUVELLES.

Dedans mon lit.

Constanse.
Delacez-moy, de grace.

Camille.
Je ne sçaurois, il fait froid, je suis nu ;
Delacez-vous.
Nostre Amante ayant veu
Prés du chevet un poignard dans sa gaisne,
Le prend, le tire, et coupe ses habits,
Corps piqué d’or, garnitures de prix,
Ajustemens de Princesse et de Reine.
Ce que les gens en deux mois à grand’peine
Avoient brodé perit en un moment,
Sans regreter ny plaindre aucunement
Ce que le sexe aime plus que sa vie.
Femmes de France, en feriez-vous autant ?
Je crois que non, j’en suis seur, et partant
Cela fut beau sans doute en Italie.
La pauvre Amante approche en tapinois,
Croyant tout fait, et que pour cette fois
Aucun bizarre et nouveau stratagême
Ne viendroit plus son aise reculer.
Camille dit : C’est trop dissimuler ;
Femme qui vient se produire elle-mesme
N’aura jamais de place à mes costez.
Si bon vous semble, allez vous mettre aux pieds.
Ce fut bien-là qu’une douleur extreme
Saisit la belle, et si lors par hazard
Elle avoit eu dans ses mains le poignard,
C’en estoit fait : elle eust de part en part
Percé son cœur. Toutefois l’esperance
Ne mourut pas encor dans son esprit.
Camille estoit trop connu de Constanse,
Et que ce fust tout de bon qu’il eust dit
Chose si dure, et pleine d’insolence,
Luy qui s’estoit jusque-là comporté
En homme doux, civil, et sans fierté,