Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 2.djvu/245

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
237
QUATRIESME PARTIE.

A moy qui n’ay que quatorze ou quinze ans ?
Vaux-je cela ? disoit en soy la belle,
Son innocence augmentoit ses appas :
Amour n’avoit à son croc de pucelle
Dont il creust faire un aussi bon repas.
Mon Reverend, dit elle au beat homme,
Je viens vous voir ; des personnes m’ont dit
Qu’en ce Couvent on vendoit de l’esprit ;
Vôtre plaisir seroit-il qu’à credit
J’en pusse avoir ? non pas pour grosse somme,
A gros achapt mon tresor ne suffit ;
Je reviendray, s’il m’en faut d’avantage :
Et cependant prenez cecy pour gage.
A ce discours, je ne sçais quel anneau,
Qu’elle tiroit de son doigt avec peine,
Ne venant point, le Pere dit : Tout beau !
Nous pourvoirons à ce qui vous ameine,
Sans exiger nul salaire de vous :
Il est marchande et marchande, entre nous ;
A l’une on vend ce qu’à l’autre l’on donne.
Entrez icy, suivez moy hardiment ;
Nul ne nous voit, aucun ne nous entend ;
Tous sont au chœur ; le portier est personne
Entierement à ma devotion,
Et ces murs ont de la discretion.
Elle le suit ; ils vont à sa Cellule.
Mon Reverend la jette sur un lit,
Veut la baiser ; la pauvrette recule
Un peu la teste ; et l’innocente dit :
Quoy ! c’est ainsi qu’on donne de l’esprit
Et vrayment oüy, repart sa Reverence ;
Puis il luy met la main sur le teton.
Encore ainsi ? Vrayment oüy ; comment don
La belle prend le tout en patience.
Il suit sa pointe, et d’encor en encor
Tousjours l’esprit s’insinuë et s’avance,
Tant et si bien qu’il arrive à bon port.
Lise rioit du succés de la chose.