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mes ; quand je parleray de vostre generosité sans exemple, de la grandeur de tous vos sentimens, de cette modestie qui nous charme ; enfin, quand j’avouëray que vostre esprit est infiniment élevé, et qu’avec cela j’avouëray encore que vostre ame l’est davantage que vostre esprit, ce seront quelques traits de vous à la verité, mais ce ne sera point ce grand nombre de rares qualitez qui vous fait admirer de tout ce qu’il y a d’honnestes gens dans la France. Et non seulement, Monseigneur, vous attirez leur admiration, vous les contraignez mesme par une douce violence de vous aymer. On ne l’a que trop remarqué pendant cet extrême peril, dont vous ne faites que de sortir. Vous sçavez bien qu’ils vous regardent comme le heros destiné pour vaincre la dureté de nostre siecle, et le mépris de tous les beaux arts. Les Muses qui commençoient à se consoler de la mort d’Armand, par l’estime que vous faites d’elles, en vous voyant malade, se voyoient sur le point de perdre encore une fois leurs amours ; elles se condamnoient dés-jà à une solitude perpetuelle, et la gloire, avec tous ses charmes, alloit devenir une chose indifferente à ceux d’entre nous qui ont toûjours esté les plus amoureux. Le Ciel nous a guarentis du malheur qui nous menaçoit : agréez, Monseigneur, que je vous en témoigne ma joye, en vous offrant mon dernier ouvrage. Ce sont les amours de Venus et d’Adonis, c’est la fin malheureuse de ce beau chasseur, sur le tombeau duquel on a veu toutes les dames grecques pleurer, et que la divine mere d’amour a regretté pendant tout le temps du paganisme, elle qui n’avoit pas accoustumé de jetter des larmes pour la perte de ses amans. Si la matiere vous en semble assez belle, et que je sois assez