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A D O N I S .

La troupe des Chasseurs, au Heros accouruë,
Par des cris redoublez luy fait ouvrir la veuë :
Il Cherche encore un coup la lumiere des Cieux,
Il pousse un long soûpir, il referme les yeux,
Et le dernier moment qui retient sa belle-ame[1]
S’employe au souvenir de l’objet qui l’enflâme.
On fait pour l’arrester des efforts supeflus ;
Elle s’envole aux airs, le corps ne la sent plus.
Prestez-moy des soûpirs, ô vents, qui sur vos aisles
Portastes à Venus de si tristes nouvelles.
Elle accourt aussi-tost, et, voyant son Amant,
Remplit les environs d’un vain gemissement.
Telle sur un ormeau se plaint la tourterelle
Quand l’adroit giboyeur a, d’une main cruelle,
Fait mourir à ses yeux l’objet de ses amours ;
Elle passe à gemir et les nuits et les jours,
De moment en moment renouvellant sa plainte,
Sans que d’aucun remords la Parque soit atteinte,
Tout ce bruit, quoy que juste, au vent est repandu ;
L’enfer ne luy rend point le bien qu’elle a perdu :
On ne le peut fléchir ; les cris dont il est cause
Ne font point qu’à nos vœux il rende quelque chose.
Venus l’implore en vain par de tristes accens ;
Son desespoir éclate en regrets impuissans ;
Ses cheveux sont épars, ses yeux noyez de larmes ;
Sous d’humides torrens ils resserrent leurs charmes,
Comme on void au Printemps les beautez du Soleil
Cacher sous des vapeurs leur éclat sans pareil.
Aprés mille sanglots enfin elle s’écrie :
Mon amour n’a donc pû te faire aymer la vie !
Tu me quittes, cruel ! au moins ouvre les yeux,
Montre-toy plus sensible à mes tristes adieux ;
Voy de quelles douleurs ton amante est atteinte !
Helas ! j’ay beau crier, il est sourd à ma plainte :

  1. Manuscrit de 1658 :
    Et le demier moment que tarde sa belle âme.