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POEME DE LA CAPTIVITE.

Et des pensers d’autruy se vangeoit sur ses traits.
Sa beauté luy donnoit d’eternelles alarmes.
Ses mains avec plaisir auroient détruit ses charmes :
Mais, n’osant attenter contre l’œuvre des Cieux,
Le Soleil se chargeoit de ce crime pieux.
O vous, dont la blancheur est souvent empruntée,
Que d’un soin different vostre ame est agitée !
Si vous ne vous voulez priver dun bien si doux,
De ses dons naturels au moins contentez-vous.
Tandis que la bergere en extase ravie
Prioit le Saint des Saints de veiller sur sa vie,
Les Ministres divins veilloient sur son troupeau.
Quelquefois la quenoüille et l’artiste fuseau
Luy délassoient l’esprit, et pour reprendre haleine
De ses propres Moutons elle filoit la laine.
Pendant qu’elle goustoit ce plaisir innocent,
Tournant par fois les yeux sur son troupeau paissant,
Que vous estes heureux, peuple doux ! disoit-elle :
Vous passez sans peché cette course mortelle.
On louë en vous voyant celuy qui vous a faits :
Et nous, de qui les cœurs sont enclins aux forfaits,
Laissons languir sa gloire, et d’un foible suffrage
Ne daignons relever son nom et son ouvrage.
Cheres brebis, paissez ; cueillez l’herbe et les fleurs :
Pour vous l’aube nourrit la terre de ses pleurs.
Vivez de leurs présens : inspirez-nous l’envie
D’éviter les repas qui vous coustent la vie.
Miserables humains, semence de tyrans,
En quoy differez-vous des monstres dévorans ?
Tels estoient les pensers de la sainte Heroïne.
Pour Malc, il meditoit sur la triple origine
De l’homme florissant, décheu, puis rétabli.
Du premier des Mortels la faute est en oubli :
Le Ciel pour Lucifer garde toûjours sa haine.
Dieu tout bon, disoit Malc, si ton Fils par sa peine
M’a sauvé de l’enfer, m’a remis dans mes droits,
Garde-moy de les perdre une seconde fois.
Fais qu’un jour mes travaux par leur fin se couronnent.