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DE SAINT MALC.

Ce qu’ils font pour un bien leur semble estre une offense.
Malc à ces sentimens donnoit un jour des pleurs ;
Les larmes qu’il versoit faisoient courber les fleurs.
Il vid auprés d’un tronc de legions nombreuses
De fourmis qui sortoient de leurs cavernes creuses.
L’une poussoit un faix ; l’autre prestoit son dos :
L’amour du bien public empeschoit le repos.
Les chefs encourageoient chacun par leur exemple.
Un du peuple estant mort, nostre Saint le contemple
En forme de convoy soigneusement porté
Hors les toits fourmillans de l’avare Cité.
Vous m’enseignez, dit-il, le chemin qu’il faut suivre.
Ce n’est pas pour soy seul qu’icy bas on doit vivre ;
Vos greniers sont témoins que chacune de vous
Tasche à contribuer au commun bien de tous.
Dans mon premier desert j’en pouvois autant faire ;
Et sans contrevenir aux vœux d’un solitaire,
L’exemple, le conseil, et le travail des mains,
Me pouvoient rendre utile à des troupes de Saints :
Aujourd’huy je languis dans un lasche esclavage ;
Je sers pour conserver des jours de peu d’usage.
Le monde a bien besoin que Malc respire encor !
Vil esclave, tu ments pour éviter la mort !
Que ne resistois-tu, quand on força ton ame
A se voir exposée aux beautez d’une femme ?
Lors qu’il ne fut plus temps tu courus au trespas.
Quitte quitte des lieux où Christ n’habite pas.
Avec ses ennemis veux-tu passer ta vie ?
Il declare à la Sainte aussi-tost son envie,
Va s’asseoir auprés d’elle, et luy parle en ces mots :
Ma sœur, je me souviens que vos sages propos
Desja plus d’une fois m’ont retiré de peine.
N’aguere, en conduisant mon troupeau dans la plaine,
Je songeois à l’estat où le sort nous réduit.
Quelle est de nos travaux l’esperance et le fruit ?
Rien que de prolonger le cours de nos miseres,
Et vieillir, s’il se peut, sous des ordres severes.
Voila dedans ces lieux le but de nostre employ.