Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 3.djvu/111

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portune si ie vous prie de m’apprendre vostre avanture ?

Je vous la diray en peu de mots, reprit le vieillard. J’estois/t la cour d’un Roy qui se phisoit &.m’entendre et qui m’avoit donn la charge de premier Philosophe de sa maison. Outre la faycur, ie ne manquois pas de biens. Ma famille ne consistoit qu’en une personne qui m’estoit’fort chere ; i’avms perdu mon épouse depuis long-temps : il me restpit une fille de beauté exquise, quoy qu’infiniment au dessous des charmes que vous possedez. Je I’levay dans des sentimens de vertu convenables,’t I estat de nostre fortune et /t la profession que ie faisois. Point de coquetterie ni d’ambition ; point d’humeur austere non plus. Je voulois en faire une compagne commode pour un mary plustost qu’une maistresse agreable pour des amans.

Ses qualitez la firent bien-tost rechercher par tout ce qu’il y avoit d’illustre à la Cour.. Celuy qui commandoit les arm&es du Roy l’emporta. Le lendemain qu’il l’eut épousée, il en fut jaloux ; il luy donna des espions et des gardes : pauvre esprit qui ne voyoit pas que si la vertu ne garde une femme, en vain l’on pose des sentinelles à l’entour ! Ma fille auroit esté longtemps malheureuse sans les hazards de la guerre. Son mary fut tué dans un combat. Il la laissa mere d’une des filles que vous voyez, et grosse de l’autre. L’affliction fut plus forte que le souvenir des mauvais traitemens du defunct, et le temps fut plus fort que I’affliction. Ma fille reprit à la fin sa gayet& sa douce conversation, et ses charmes ; résolüe pourtant de demeurer veuve, voire de mourir plustost que de tenter un second hazard. Les amans reprirent aussi leur train ordinaire ; mon logis ne desemplissoit point d’importuns : le plus incommode de tous fut le fils du Roy.

Ma fille, à qui ces choses ne plaisoient pas, me pria de demander pour recompense de mes services qu’il me fust permis de me retirer. Cela me fut accordé.