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Si Louis l’abandonne à ce rare mérite,
Il verra si la Ville et la Cour ne le quitte9.
Ce grand Prince a voulu tout écouter, tout voir ;
Mais il sait de nos sens jusqu’où va le pouvoir,
Et que si notre esprit a trop peu de portée,
Leur puissance est encor beaucoup plus limitée ;
Que lorsqu’à quelque objet l’un d’eux est attaché,
Aucun autre de rien ne peut être touché.
Si les yeux sont charmés, l’oreille n’entend gueres :
Et tel, quoiqu’en effet il ouvre les paupières,
Suit attentivement un discours sérieux,
Qui ne discerne pas ce qui frappe ses yeux.
Car ne vaut-il pas mieux, dis-moi ce qu’il t’en semble,
Qu’on ne puisse saisir tous les plaisirs ensemble,
Et que, pour en goûter les douceurs purement,
Il faille les avoir chacun séparément ?
La Musique en sera d’autant mieux concertée ;
La grave Tragédie, à son point remontée,
Aura les beaux sujets, les nobles sentimens,
Les vers majestueux, les heureux dénouemens :
Les Ballets reprendront leurs pas et leurs machines,
Et le Bal éclatant de cent Nimphes divines,
Qui de tout tems des Cours a fait la Majesté,
Reprendra de nos jours sa première beauté.
Ne crois donc pas que j’aie une douleur extrême
De ne pas voir Isis10 pendant tout le Carême.
Si nous ne pouvons pas de l’auguste Louis
Savoir encor sitôt les projets inouïs,
Le jour de son départ, sa marche et quelles Places
Foudroyant ses canons, embrasent ses carcasses,
Avec mille autres biens, le Jubilé fera



9. La Fontaine se rappelle ici les paroles d’Auguste à Cinna dans la pièce de Corneille (acte V, scène i) :

Ta fortune est bien haut, tu peux ce que tu veux,
Mais tu ferois pitié mesme à ceux qu’elle irrite,
Si je t’abandonnois à ton peu de mérite.

10. Opéra de Quinault, représenté le 5 janvier 1677.