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Le savetier crut voir tout l’argent que la terre
Avait depuis plus de cent ans,
Produit pour l’usage des gens.
Il retourne chez lui : dans sa cave il enserre
L’argent, et sa joie à la fois.
Plus de chant : il perdit la voix
Du moment qu’il gagna ce qui cause nos peines.
Le sommeil quitta son logis :
Il eut pour hôtes les soucis,
Les soupçons, les alarmes vaines.
Tout le jour il avait l’œil au guet ; et la nuit,
Si quelque chat faisait du bruit,
Le chat prenait l’argent. À la fin le pauvre homme
S’en courut chez celui qu’il ne réveillait plus :
Rendez-moi, lui dit-il, mes chansons et mon somme ;
Et reprenez vos cent écus.


III

LE LION, LE LOUP ET LE RENARD

Un lion, décrépit, goutteux, n’en pouvant plus,
Voulait que l’on trouvât remède à la vieillesse.
Alléguer l’impossible aux rois, c’est un abus.
Celui-ci parmi chaque espèce
Manda des médecins : il en est de tous arts.
Médecins au lion viennent de toutes parts ;
De tous côtés lui vient des donneurs de recettes.
Dans les visites qui sont faites
Le renard se dispense, et se tient clos et coi.
Le loup en fait sa cour, daube[1], au coucher du roi,
Son camarade absent. Le prince tout à l’heure

  1. Mot qui équivaut à une locution actuellement en usage : tomber sur quelqu’un, pour : médire de quelqu’un.