Page:La Fontaine - Fables, Bernardin-Bechet, 1874.djvu/275

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Un mâtin passe, et veut lui prendre le dîné.
Il n’en eut pas toute la joie
Qu’il espérait d’abord : le chien mit bas la proie
Pour la défendre mieux, n’en étant plus chargé.
Grand combat, d’autres chiens arrivent :
Ils étaient de ceux-là qui vivent
Sur le public, et craignent peu les coups.
Notre chien, se voyant trop faible contre eux tous,
Et que la chair courait un danger manifeste,
Voulut avoir sa part ; et, lui sage, il leur dit :
Point de courroux, messieurs ; mon lopin me suffit :
Faites votre profit du reste.
À ces mots, le premier, il vous happe un morceau,
Et chacun de tirer, le mâtin, la canaille,
À qui mieux mieux : ils firent tous ripaille ;
Chacun d’eux eut une part au gâteau.

Je crois voir en ceci l’image d’une ville
Où l’on met les deniers à la merci des gens.
Échevins, prévôt des marchands,
Tout fait sa main : le plus habile
Donne aux autres l’exemple, et c’est un passe-temps
De leur voir nettoyer un monceau de pistoles.
Si quelque scrupuleux, par des raisons frivoles,
Veut défendre l’argent et dit le moindre mot,
On lui fait voir qu’il est un sot.
Il n’a pas de peine à se rendre :
C’est bientôt le premier à prendre.