Page:La Fontaine - Fables, Bernardin-Bechet, 1874.djvu/312

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Un faon de biche passe, et le voilà soudain
Compagnon du défunt : tous deux gisent sur l’herbe.
La proie était honnête, un daim avec un faon ;
Tout modeste chasseur en eût été content :
Cependant un sanglier, monstre énorme et superbe,
Tente encor notre archer, friand de tels morceaux.
Autre habitant du Styx : la Parque et ses ciseaux
Avec peine y mordaient ; la déesse infernale
Reprit à plusieurs fois l’heure au monstre fatale.
De la force du coup pourtant il s’abattit.
C’était assez de biens. Mais quoi ! rien ne remplit
Les vastes appétits d’un faiseur de conquêtes.
Dans le temps que le porc revient à soi, l’archer
Voit le long d’un sillon une perdrix marcher ;
Surcroît chétif aux autres têtes :
De son arc toutefois il bande les ressorts.
Le sanglier, rappelant les restes de sa vie,
Vient à lui, le découd[1], meurt vengé sur son corps ;
Et la perdrix le remercie.

Cette part du récit s’adresse au convoiteux :
L’avare aura pour lui le reste de l’exemple.

Un loup vit en passant ce spectacle piteux :
Ô Fortune ! dit-il, je te promets un temple.
Quatre corps étendus ! que de biens ! mais pourtant
Il faut les ménager ; ces rencontres sont rares.
(Ainsi s’excusent les avares.)
J’en aurai, dit le loup, pour un mois, pour autant :
On, deux, trois, quatre corps ; ce sont quatre semaines,
Si je sais compter, toutes pleines.
Commençons dans deux jours ; et mangeons cependant
La corde de cet arc : il faut que l’on l’ait faite

  1. Le déchire avec ses défenses.