Page:La Fontaine - Fables, Bernardin-Bechet, 1874.djvu/349

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Voit ses petits
En danger, et n’ayant qu’une plume nouvelle
Qui ne peut fuir encor par les airs le trépas,
Elle fait la blessée, et va traînant de l’aile,
Attirant le chasseur et le chien sur ses pas,
Détourne le danger, sauve ainsi sa famille ;
Et puis, quand le chasseur croit que son chien la pille[1],
Elle lui dit adieu, prend sa volée, et rit
De l’homme qui, confus, des yeux en vain la suit.

Non loin du nord il est un monde
Où l’on sait que les habitants
Vivent, ainsi qu’aux premiers temps,
Dans une ignorance profonde :
Je parle des humains ; car, quant aux animaux,
Ils y construisent des travaux
Qui des torrents grossis arrêtent le ravage,
Et font communiquer l’un et l’autre rivage.
L’édifice résiste et dure en son entier :
Après un lit de bois et un lit de mortier.
Chaque castor agit : commune en est la tâche ;
Le vieux y fait marcher le jeune sans relâche ;
Maint maître d’œuvre y court, et tient haut le bâton.
La république de Platon
Ne serait rien que l’apprentie
De cette famille amphibie.
Ils savent en hiver élever leurs maisons,
Passent les étangs sur des ponts,
Fruit de leur art, savant ouvrage ;
Et nos pareils ont beau le voir,
Jusqu’à présent tout leur savoir
Est de passer l’onde à la nage.

  1. La tient.