Page:La Fontaine - Fables, Bernardin-Bechet, 1874.djvu/379

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En mille occasions, comme les animaux :
Le roi de ces gens-là n’a pas moins de défauts
Que ses sujets ; et la Nature
A mis dans chaque créature
Quelque grain d’une masse où puisent les esprits :
J’entends les esprits-corps, et pétris de matière.
Je vais prouver ce que je dis.

À l’heure de l’affût, soit lorsque la lumière
Précipite ses traits dans l’humide séjour,
Soit lorsque le soleil rentre dans sa carrière,
Et que, n’étant plus nuit, il n’est pas encor jour,
Au bord de quelque bois sur un arbre je grimpe,
Et nouveau Jupiter du haut de cet olympe,
Je foudroie à discrétion
Un lapin qui n’y pensait guère.
Je vois fuir aussitôt toute la nation
Des lapins qui, sur la bruyère,
L’œil éveillé, l’oreille au guet,
S’égayaient, et de thym parfumaient leur banquet.
Le bruit du coup fait que la bande
S’en va chercher sa sûreté
Dans la souterraine cité ;
Mais le danger s’oublie, et cette peur si grande
S’évanouit bientôt : je revois les lapins,
Plus gais qu’auparavant, revenir sous mes mains.

Ne reconnaît-on pas en cela les humains ?
Dispersés par quelque orage,
À peine ils touchent le port,
Qu’ils vont hasarder encor
Même vent, même naufrage :
Vrais lapins, on les revoit
Sous les mains de la Fortune.