Page:La Fontaine - Fables, Bernardin-Bechet, 1874.djvu/381

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Fait honneur à la France, en grands noms plus féconde
Qu’aucun climat de l’univers,
Permettez-moi du moins d’apprendre à tout le monde
Que vous m’avez donné le sujet de ces vers.


XVI

LE MARCHAND, LE GENTILHOMME, LE PÂTRE ET LE FILS DE ROI

Quatre chercheurs de nouveaux mondes,
Presque nus, échappés à la fureur des ondes,
Un trafiquant, un noble, un pâtre, un fils de roi,
Réduits au sort de Bélisaire[1],
Demandaient aux passants de quoi
Pouvoir soulager leur misère,
De raconter quel sort les avait assemblés,
Quoique sous divers points tous quatre ils fussent nés,
C’est un récit de longue haleine.
Ils s’assirent enfin au bord d’une fontaine :
Là, le conseil se tint entre les pauvres gens.
Le prince s’étendit sur le malheur des grands.
Le pâtre fut d’avis qu’éloignant la pensée
De leur aventure passée
Chacun fît de son mieux, et s’appliquât au soin
De pourvoir au commun besoin.
La plainte, ajouta-t-il, guérit-elle son homme ?
Travaillons : c’est de quoi nous mener jusqu’à Rome.
Un pâtre ainsi parler ! Ainsi parler ? croit-on
Que le ciel n’ait donné qu’aux têtes couronnées
De l’esprit et de la raison ;

  1. Bélisaire était un grand capitaine, qui, ayant commandé les armées de l’empereur et perdu les bonnes grâces de son maître, tomba dans un tel point de misère qu’il demandait l’aumône sur les grands chemins. (Note de la Fontaine.)