Page:La Fontaine - Fables, Bernardin-Bechet, 1874.djvu/384

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Ou s’efforcer de le détruire
Avant que la griffe et la dent
Lui soit crue, et qu’il soit en état de nous nuire.
N’y perdez pas un seul moment.
J’ai fait son horoscope : il croîtra par la guerre ;
Ce sera le meilleur lion
Pour ses amis, qui soit sur terre :
Tâchez donc d’en être ; sinon
Tâchez de l’affaiblir. La harangue fut vaine.
Le sultan dormait lors ; et dedans son domaine
Chacun dormait aussi, bêtes, gens : tant qu’enfin
Le lionceau devint vrai lion. Le tocsin
Sonne aussitôt sur lui ; l’alarme se promène
De toutes parts ; et le vizir,
Consulté là-dessus, dit avec un soupir :
Pourquoi l’irritez-vous ? La chose est sans remède.
En vain nous appelons mille gens à notre aide :
Plus ils sont, plus il coûte ; et je ne les tiens bons
Qu’à manger leur part des moutons.
Apaisez le lion : seul il passe en puissance
Ce monde d’alliés vivant sur notre bien.
Le lion en a trois qui ne lui coûtent rien,
Son courage, sa force, avec sa vigilance.
Jetez-lui promptement sous la griffe un mouton ;
S’il n’en est pas content, jetez-en davantage :
Joignez-y quelque bœuf ; choisissez, pour ce don,
Tout le plus gras du pâturage.
Sauvez le reste ainsi. Ce conseil ne plut pas.
Il en prit mal ; et force États
Voisins du sultan en pâtirent :
Nul n’y gagna, tous y perdirent.
Quoi que fit ce monde ennemi,
Celui qu’ils craignaient fut le maître.