Page:La Fontaine - Fables, Bernardin-Bechet, 1874.djvu/454

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Qui bientôt vont manquer de force et de loisir.
Je louerai seulement un cœur plein de tendresse,
Ces nobles sentiments, ces grâces, cet esprit :
Vous n’auriez en cela ni maître, ni maîtresse,
Sans celle dont sur vous l’éloge rejaillit.
Gardez d’environner ces roses
De trop d’épines, si jamais
L’amour vous dit les mêmes choses :
Il les dit mieux que je ne fais ;
Aussi sait-il punir ceux qui ferment l’oreille
À ses conseils. Vous l’allez voir.
 
Jadis une jeune merveille
Méprisait de ce dieu le souverain pouvoir :
On l’appelait Alcimadure :
Fier et farouche objet, toujours courant au bois,
Toujours sautant aux prés, dansant sur la verdure,
Et ne connaissant autres lois
Que son caprice ; au reste, égalant les plus belles,
Et surpassant les plus cruelles ;
N’ayant trait qui ne plût, pas même en ses rigueurs :
Quelle l’eût-on trouvée au fort de ses faveurs !
Le jeune et beau Daphnis, berger de noble race,
L’aima pour son malheur : jamais la moindre grâce ;
Ni le moindre regard, le moindre mot enfin,
Ne lui fut accordé par ce cœur inhumain.
Las de continuer une poursuite vaine,
Il ne songea plus qu’à mourir.
Le désespoir le fit courir
À la porte de l’inhumaine.
Hélas ! ce fut aux vents qu’il raconta sa peine ;
On ne daigna lui faire ouvrir
Cette maison fatale, où, parmi ses compagnes,