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ne contenait pas moins de dix gallons[1]. Après l’avoir placé à terre, les deux Nègres se mirent à genoux, et, mangeant le grain à poignées, ils avalèrent tout en peu de minutes. Snelgrave apprit de l’interprète que cette cérémonie ne se faisait que pour amuser le roi, et que les acteurs ne vivaient pas long-temps, mais, qu’ils ne manquaient jamais de successeurs. Cette étrange espèce de flatterie et de bassesse imbécile peut paraître moins inconcevable dans une nation barbare, avilie et malheureuse ; mais si, dans notre Europe, où l’on connaît mieux l’usage et le prix de la vie, si dans une cour très-polie on avait vu des exemples d’une adulation à peu près de la même espèce et du même danger, ne faudrait-il pas convenir que l’air qu’on respire dans les cours est mortel à la raison ?

Après le dîner, le frère du prince d’Iakin vint, à la tête des blancs, dans un si grand effroi, que de noir qu’il était, sa pâleur le rendit basané. Il avait rencontré en chemin les Teffos qui devaient être sacrifiés, et leurs cris lamentables l’avaient jeté dans ce désordres. Les Nègres de la côte ont en horreur ces excès de cruauté, et détestent surtout les festins de chair humaine. Ce barbare usage était familier aux Dabomays ; car, lorsque Snelgrave reprocha dans la suite aux peuples de Juida le découragement qui leur avait fait prendre la fuite, ils répondirent

  1. Un gallon est une mesure évaluée environ huit pintes.