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qu’Estevez jugea nécessaire pour nous soutenir contre l’agitation des vagues. Nous étions encore trente-huit, en y comprenant nos valets et quelques enfans. Le radeau ne fut pas plus tôt à flot que, s’enfonçant sous le poids, nous nous trouvâmes dans l’eau jusqu’au cou, sans cesse obligés de nous attacher à quelque solive que nous tenions embrassée. Une vieille courte-pointe nous servit de voile ; mais étant sans boussole, nous flottâmes quatre jours entiers dans cette misérable situation. La faim, le froid, la crainte et toutes les horreurs de notre sort faisaient périr à chaque moment quelqu’un de nos compagnons. Plusieurs se nourrirent pendant deux jours du corps d’un Nègre qui était mort près d’eux. Nous fûmes jetés enfin vers la terre ; et cette vue nous causa tant de joie, que, de quinze à qui le ciel conservait encore la vie, quatre la perdirent subitement. Ainsi nous ne nous trouvâmes qu’au nombre de onze, sept Portugais et quatre Indiens, en abordant la terre dans une plage où notre radeau glissa heureusement sur le sable.

» Les premiers mouvemens de notre reconnaissance se tournèrent vers le ciel, qui nous avait délivrés des périls de la mer : mais ce ne fut pas sans frémir de ceux auxquels nous demeurions exposés. Le pays était désert, et nous vîmes quelques tigres que nous mîmes en fuite par nos cris. Les éîéphans, qui se présentaient en grand nombre, nous parurent moins dangereux ; ils ne nous empêchèrent pas de rassasier